Le volcanisme du Massif Central : quelle origine ?
Le volcanisme du Massif Central est un sujet qui a donné lieu à d’innombrables publications d’ouvrages scientifiques ou grand public. On y lit des descriptions volcanologiques ou encore minéralogiques, puis vient souvent un chapitre consacré à son origine. Pourquoi y a-t-il du volcanisme dans le Massif Central ? Cette question reste souvent sans réponse franche. On imagine bien sûr aisément la présence d’une remontée magmatique, mais sous quelle forme et pourquoi à cet endroit là ? En effet, ce volcanisme de France métropolitaine ne « rentre pas » dans les cases. La communauté des Sciences de la Terre a défini, depuis l’avènement de la théorie de la dérive des continents durant les années 1960, différents contextes dans lesquels s’exprime le volcanisme planétaire. Le contexte de subduction représenté par le plongement d’une plaque lithosphérique sous une autre ; le contexte d’extension (rifting), où la croûte terrestre se déchire permettant l’éruption de laves à la frontière de plaques océaniques (rides médio-océaniques) ; et le contexte de point chaud, dans lequel se regroupe le volcanisme qui généralement ne rentre pas dans les deux premières cases. Ces contextes sont des concepts théoriques bien souvent bousculés dans la pratique.

Le Rift Ouest Européen est constitué de bassins sédimentaires et héberge un volcanisme alcalin tertiaire péri-alpin (Brousse, 1974).
Le volcanisme du Massif Central ne se développe pas à la frontière de plaques mais à l’intérieur de la plaque Eurasienne, on le définit ainsi comme « intraplaque ». Lorsque l’on s’intéresse à la structure de l’Europe de l’ouest, on constate que ce volcanisme intraplaque s’installe au sein d’une longue déchirure crustale, le rift ouest européen, qui s’étend depuis le sud de la France jusque dans le nord de l’Allemagne, voire jusqu’en Bohême. Ce rifting intraplaque serait donc à l’origine du volcanisme du Massif Central ? Mais alors d’où vient le magma ? Sa remontée est-elle une conséquence de cette déchirure crustale, ou en est-elle la cause ? Cette question épineuse va alimenter les débats scientifiques durant près d’un demi-siècle jusqu’à nos jours. S’ajoute une interrogation, et non des moindres : d’où vient ce magma qui remonte ? Est-il né d’une anomalie de chaleur dans la partie supérieure du manteau terrestre ? Ou bien a-t-il une origine plus profonde, le manteau inférieur ? C’est cette deuxième hypothèse qui a été longtemps retenue par la communauté scientifique. Comme cela est théoriquement défini, nous aurions alors affaire à un contexte de point chaud. Mais le rifting est-il la conséquence d’un point chaud ? Ce type de contexte géodynamique existe bien en Afrique de l’est où la croûte se déchire autour du point triple de l’Afar. Mais la comparaison s’arrête ici : il a été récemment montré que le volcanisme du Massif Central ne présentait pas les caractères classiques d’un point chaud, ou pour le moins, les caractères d’une remontée mantellique profonde. En réalité, toute cette histoire repose sur la façon dont on définit les caractères d’un point chaud. Pour résumer, tout est ici probablement une sombre histoire de vocabulaire.
Pour résoudre un problème de cette taille, il est bon de commencer par les évidences, c’est-à-dire de constater. Avant de comprendre ce qu’il se passe sous nos pieds, regardons déjà ce sur quoi on les pose. Comment s’exprime le volcanisme en surface ? Quelles en sont ses morphologies, sa composition ? Mais aussi et surtout comment s’organise-t-il dans l’espace et dans le temps ? Nous constatons donc. Mais pour interpréter, il est nécessaire de lier les constats entre eux de façon à raconter une histoire. C’est à ce moment là qu’il nous faut faire appel à notre sens de l’imaginaire, émettre des hypothèses. Cela sans nous détacher, bien sûr, du réel, tout en préservant le jugement.
Quand donc on dit qu’un bâton paraît rompu dans l’eau, à cause de la réfraction, c’est de même que si l’on disait qu’il nous paraît d’une telle façon qu’un enfant jugerait de là qu’il est rompu et qui fait aussi que, selon les préjugés auxquels nous sommes accoutumés dès notre enfance, nous jugeons la même chose. Mais je ne puis demeurer d’accord de ce que l’on ajoute ensuite, à savoir que cette erreur n’est point corrigée par l’entendement, mais par le sens de l’attouchement ; car bien que ce sens nous fasse juger qu’un bâton est droit, outre cela il est besoin que nous ayons quelque raison, qui nous enseigne que nous devons en cette rencontre, nous fier plutôt au jugement, que nous faisons ensuite de l’attouchement, qu’à celui où semble nous porter le sens de la vue : laquelle raison ne peut être attribuée au sens, mais au seul entendement.
Descartes (1596-1650) l’avait bien compris, on ne peut pas croire tout ce qu’on voit au risque de tomber dans l’erreur. Ainsi sommes-nous soit limités par la connaissance, soit trompés par nos sens et donc par notre vision d’un objet, que celui-ci fasse la taille d’un bâton ou celle du Massif Central. Cette incartade philosophique justifie en un sens l’acharnement des géologues qui s’échinent depuis un demi-siècle à comprendre l’origine du volcanisme du Massif Central. De cette façon, il nous est permis de bousculer les idées, de faire évoluer les hypothèses.
Pour le vulcanologue habitué aux cratères hostiles emplis de fumées et de gaz qui éructent des giclées de cailloux ou de scories incandescentes, qui recèlent d’étranges mares de bouillonnant roc fondu, d’où s’échappent et ruissellent d’éblouissant fleuves de feu liquide, l’Auvergne aux volcans entrés tout juste dans le sommeil est un extraordinaire musée naturel où il retrouve, paisible, figé par une baguette ensorcelée, ce qui l’avait terrifié parfois lorsqu’il rôdait autour des lucarnes ouvertes sur les mystères flamboyants du globe. Alors que là-bas (ndlr l’Etna) la démesure même du spectacle s’opposait au raisonnement et à l’objectivité, tout ici (ndlr l’Auvergne) est propice à la compréhension des choses, à la discussion paisible, à l’analyse des phénomènes telluriques. Cela ne signifie pas qu’il suffise d’étudier les appareils éteints, disséqués et exposés au regard par l’érosion, pour arriver à comprendre les phénomènes éruptifs. Mais c’est l’école la meilleure pour tous ceux que le volcanisme intéresse et qui veulent aller quelque jour en contempler l’activité.

Le massif du Mont Dore et la Chaîne des Puys vue depuis le plateau du Cézallier. Crédit : Sébastien Leibrandt
En écrivant ces mots, Haroun Tazieff (1914-1998) voyait en l’Auvergne un cas d’école. Cela est vrai lorsque l’on observe, individuellement, les points de sortie des laves : les cônes stromboliens et les dômes de lave de la Chaîne des Puys, les protusions phonolitiques du Mont Dore et du Cantal, ou encore les coulées prismées du Cézallier. Mais pris dans son ensemble, le volcanisme du Massif Central, sa genèse, reste l’une des grandes problématiques volcanologiques françaises du XXe siècle, et sera probablement encore celle du XXIe.
Extrait de Leibrandt (2011) Reconstitution de l’évolution morpho-structurale et de la dynamique éruptive du volcan du Cantal ; relation avec la distribution spatio-temporelle du volcanisme du Massif Central, thèse 3ème cycle, Université Paris Sud